Ça c’est l’histoire de Tristan Corbière, poète incompris né et mort à Morlaix en 1875, enfant du post romantisme de l’ère de Napoléon trois, souffrant de se voir trop laid, surprenant, agile, grinçant, moderne et sans effets. Poète dont plus personnes ne parlait avant que le Pauvre Lelian, comprendre Paul Verlaine, ne lui attribue ce titre prestigieux. Le poète maudit? C’est Tristan Corbière, se trouvant moche et riant de tout mais avec personne. Tristan qui met le doigt sur la fragilité de l’œuvre la rosée amère de la vision, la distance déjà complexe avec le sujet (on parle déjà de chic et de haut vol).
Tristan Corbière, discrètement glissée dans la bibliothèque de Des Esseintes, Tristan Corbière qui craque les phrases et clacs les mots, casse les hémistiches et clash l’alexandrin comme jamais. Tristan Corbière qui célèbre le décousu et le facile comme un Gainsbourg période new-yorkais, Bronski beat giclant de son Aiwa. « ça c’est naïvement rien ou quelque chose, et mon enfant n’a pas même un titre menteur. » Grinçant mais honnête, Tristan signe la copie dans l’indifférence générale. On s’en souviendra
Tristan mort comme il se doit dans l’anonymat et avant trente ans. ça, c’est ça ou bien ça n’est pas : l’ironie, l’insolence, et leur éternelle motivation secrète, la haine de soi, comme un point de passage vers un ailleurs dont la beauté ne rend de compte à personne. André Breton ne s’y est pas trompé qui a cité Corbières dans son anthologie de l’humour noir. Et dans tout ces non, ces refus plus ou moins aimables on sent poindre l’idéal punk excavé comme dans une archéologie secrète. L’art ne le connait pas, il ne connait pas l’art. L’équilibre et la maitrise de la strophe disent tout de Tristan et en particulier son art de dire tout et faire voir son contraire. Par ses mots il nous prouve exactement le contraire de ce qu’il écrit : l’art le connait, il connait l’art. Dire une chose qui porte son contraire, l’idée est déjà là dans le titre de son recueil le plus célèbre d’où est extrait ça : les amours jaunes. L’amour à la couleur de la trahison et du cocuage. La blague on la retrouve aussi en ouverture du poème, où Tristan n’hésite pas à convoquer Shakespeare lui même pour lui faire dire simplement « what ».
Commençons donc avec Tristan, prénom d’emprunt pour Édouard Joachim, triste en corps bière. Peut-être le moins connu des poètes maudits.